Et si apprendre, c’était d’abord désapprendre ?
- Olivia Rolin
- 31 mars
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 15 avr.
Ou comment accueillir le passé pour entrevoir le futur

L’année dernière, un événement m’a amené à remettre en question une croyance à laquelle je suis attachée depuis aussi longtemps que je me souvienne.
Alors que je partageais à une amie une expérience que j’avais vécu en même temps que l’interprétation que je liais à ça et qui me semblait évidente, sa question m’a désarçonnée : est-ce que tu es vraiment sûre de ça ?
Mon premier réflexe a été de balayer gentillement ses doutes en argumentant sur les raisons pour lesquelles c’était évidemment vrai. J’ai même senti une petite pointe d’agacement monter en moi : comment pouvait-elle remettre ça en question ?
Mais la petite graine qu’elle avait plantée et sur laquelle j’avais tenté de souffler très fort est revenue rapidement dans mon esprit.
Et si finalement, cette chose que je crois être vrai au plus profond de moi se révèle être fausse ?
Cette question m’a déstabilisé, car au-delà de remettre en question ma croyance, elle dégommait au passage tous les repères que j’avais construits à partir d’elle.
Et ça fait mal.
Dans Words to the Wise, le psychiatre Thomas Szasz fait le lien avec l’apprentissage :
Tout acte d'apprentissage conscient exige la volonté de souffrir d'une blessure d'amour-propre. C'est pourquoi les jeunes enfants, avant de prendre conscience de leur importance, apprennent si facilement ; et pourquoi les personnes âgées, surtout si elles sont vaniteuses ou importantes, ne peuvent pas apprendre du tout. (traduction libre)
Cette atteinte à l’identité qu’implique de nouveaux apprentissages est très souvent sous-estimée lorsque l’on accompagne des adultes. Elle est pourtant essentielle à considérer pour savoir comment agir face aux barrières de protection qui sont mises en place spontanément par ces derniers pour sauvegarder l’existant.
En grandissant, il me semble qu’apprendre passe moins par l’accumulation de savoirs que par notre capacité à abaisser nos barrières de protection pour laisser partir certains savoirs obsolètes et faire de la place à de nouvelles connaissances.
Apprendre à l’âge adulte passe surtout par le fait de désapprendre.
Toutefois, il ne suffit pas de le dire pour que cela devienne possible.
Désapprendre, c’est accepter que certains repères vacillent, que des savoirs sur lesquels on s’est construit deviennent obsolètes ou incomplets.
Cela demande un cadre d’accueil suffisamment stable et bienveillant pour autoriser cette perte temporaire d’équilibre. Un cadre humain, bien sûr, mais aussi un cadre spatial qui soutient le mouvement intérieur sans le contraindre.
Par quoi est-ce que cela passe ?
Souvent, ce processus commence par prendre de la distance avec ce que l’on croit savoir.
Quand une idée reste dans notre tête, elle reste intangible, difficile à remettre en question. Mais si on la matérialise sous la forme d’un objet par exemple, on peut la déplacer, la déconstruire, la recomposer bien plus facilement pour notre esprit.
C’est ce qu’ont fait les scientifiques James Watson et Francis Crick alors qu’ils essayaient de comprendre comment les bases azotées de l’ADN se liaient entre elles. Ils savaient que la molécule d’ADN était composée de ces bases, mais ne savaient pas comment leur combinaison pouvait être complémentaire. En manipulant des tiges métalliques, des anneaux et des plaques, ils ont découvert que l’adénine se liait toujours à la thymine, la cytosine à la guanine, et que ces appariements avaient exactement la même longueur. Un bon nombre d’hypothèses ont été réfutées en même temps qu’ils maniaient tout leur matériel. La double hélice n’a été évidente que lorsqu’ils ont vu qu’en torsadant légèrement la structure qu’il avait construite, l’ensemble restait symétrique, régulier et stable.

Le processus d’externalisation que Watson et Crick ont utilisé n’est pas réductible aux objets. Dans le cas d’apprentissages plus diffus, Il peut également passer par l’usage du récit. C’est tout l’objet des pratiques narratives qui visent à raconter et à se raconter différemment pour déconstruire des apprentissages existants.
Avant d’accueillir les récits futurs, les récits passés ont besoin d’être reconnus, de laisser une trace. Leur donner une existence tangible permet à l’apprenant de les lâcher plus facilement sachant qu’il pourra les retrouver quand il le souhaite.
Lorsque ce type de démarche est menée au niveau collectif, il est important d’offrir des espaces où mettre ces mots en évidence. On pourra alors imaginer des murs inscriptibles (papier kraft, whiteboards, post-its…) ou des parcours au sol (ligne de vie, parcours cognitif et émotionnel à arpenter) pour matérialiser et retrouver ces anciens récits.

Cet exercice permet de revisiter l’ancien… mais sème le doute au passage.
Le doute, c’est ce moment où l’on concède à lâcher l’ancien sans avoir encore trouvé autre chose par lequel le remplacer.
Paradoxalement, je trouve que les espaces de doute ne sont pas légion dans le secteur de la formation. Peut-être parce que le rythme pédagogique s’est calqué sur celui du travail en adoptant l’efficacité comme mot d’ordre.
Je pense que nous aurions besoin de davantage de lieux où l’inachevé a droit de cité, où l’on peut tracer, raturer, recommencer. Des surfaces effaçables, des matériaux non définitifs, des murs qui accueillent des idées provisoires : un espace qui autorise l’instable en somme. Quel dommage que ces espaces disparaissent souvent après la petite enfance ou restent cantonnés aux salles étiquetées “créativité” !
Quand les anciens repères ont été déposés, une forme de disponibilité s’installe. Une place se libère pour entrevoir d’autres manières de penser, de faire, d’être au monde. Non pas dans l’urgence de combler, mais dans la curiosité tranquille de ce qui pourrait advenir.
C’est à ce moment-là que l’exploration peut commencer. Qu’on peut s’ouvrir à de nouveaux savoirs, en voir l’utilité, et oser des formes qui n’existaient pas encore dans notre paysage mental.
Mais cette partie-là, celle du réapprentissage et des nouveaux possibles, ce sera pour un prochain article. 😉
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